La faute au capitalisme…

La crise financière qui secoue le monde est accoucheuse de pensée neuve comme, a contrario, des croyances religieuses qui vont permettre aux hommes de s'entredéchirer. Ainsi se répète, dans l’ordre de la croyance, parmi ceux que la vie a touché du sceau de la déception et pour leur autoriser la violence faible, l'imprécation à l'endroit du capitalisme. Sous les auspices décevantes d'une « psychanalyse de la crise », Le Monde a publié il y a peu la tribune d'un M. Zygmunt Bauman, professeur émérite en Angleterre. L’homme assure que « le capitalisme crée davantage de problèmes qu'il n'en résout ». Appuyons-nous sur ce hâtif parti-pris.

M. Bauman convoque une étude de Rosa Luxemburg qu’il nous résume :

« La logique capitaliste n'est viable qu'à condition de s'appliquer toujours à de nouvelles "terres vierges" ; mais en les exploitant, elle entame leur virginité précapitaliste et épuise par là même les ressources nécessaires à sa perpétuation. C'est le serpent qui se mord la queue : un vrai festin, jusqu'à ce que la nourriture finisse par manquer et qu'il ne reste plus personne pour la manger... »

L'intuition de M. Bauman est fine et dit du vrai : nous passerons sur sa conclusion religieuse (« faire machine arrière ») pour la regarder.

Avec Rosa Luxemburg, nous devinons une femme de justice effarée devant la ruée de profiteurs sans scrupules sur les continents des civilisations premières : c'était il y a un siècle, en cette heure que feu Samuel Huntington saluait il y a peu comme l'apogée de l'Occident.

Oui, le capitalisme est gourmandise. Oui, M. Bauman a raison de voir, dans le tout récent capitalisme financier que ne connaissait pas Madame Luxemburg, le même désir d’aller jusqu’au bout du profit. Mais, pour convoquer le festin, l’orgie et la gueule de bois, pourquoi se borner à la modernité capitaliste ? Pourquoi ne pas regarder en amont ?

Ou la faute à Dieu ?

Pourquoi ignorer l’île de Pâques ? La communauté humaine qui l’habitait n'a-t-elle pas poussé la prédation jusqu'au terme de la folie, qui fut son extinction ? S’il advient que, après-demain, l’interprétation actuelle du destin des humains qui vivaient en cette île s’avère erronée, que de futurs savants parlent autrement que ceux de nos jours, il reste que la fin de l’île de Pâques reste, pour la communauté des humains d’aujourd’hui, la grande parabole prophétique.

Pourquoi ne pas ouvrir les yeux sur cet autre pays que fut El Dorado, dont les conquistadors ont tant désiré la conquête ? Toute imaginaire que cette terre ait été, sa saisie n'a-t-elle pas été la cause de tortures et de meurtres trop réels ? Toute fabuleuse qu'elle fut, sa chasse passionnée ne permit-elle pas la rapine de tout l’or sud-américain dont l'Espagne s'est gavée ? Et au fait l’Espagne, depuis cette richesse violente dont elle s’est goinfrée, ne s’est-elle pas augmentée d’orgueil au point de se tourner la tête près de cinq siècles durant, jusqu'à refuser successivement la Réforme, la révolution industrielle, le capitalisme, la démocratie ?

Du festin abusif, Virgile, il y a deux mille ans, nous a donné la devise : « Auri sacra fames ». On traduit ordinairement par : « exécrable soif de l'or ». Mais on manque, ce faisant, la pointe d'effroi que le poète voulait ficher en nous. Car c'est l'adjectif sacer qu'il a couché, qui signifie sacré, « voué aux dieux » et, mezza voce, du monde des dieux, c’est-à-dire hors de notre contrôle.

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Ici Paul Jorion témoigne d'une compréhension vive à nous deviner animaux :

« L’économie sous sa forme naturelle est pour utiliser le terme qu’emploient les biologistes pour les populations animales qui manifestent ce type d’attitude : "colonisatrice". Le comportement "colonisateur" conduit à envahir de manière très efficace un espace et à prendre contrôle de ses ressources. »

Ne retrouvons-nous pas ici Rosa Luxemburg et la colonisation envahissante ? Mais ce n'est plus le capitalisme qui est incriminé, mais notre nature animale. Dans le texte où j'ai puisé ses mots, Paul Jorion semble croire à un dépassement possible. Mais il sait lui-même que la conscience est l’espace du leurre.

Restons-en à cette interrogation. Si nous étions des animaux ? Si nous ne commandions pas notre destin ? Serait-ce si grave ?